LE CASSE-TETE DE LA COULEUR POUR LES INDUSTRIELS (1° PARTIE)
Travailler dans l'Art c'est obligatoirement s'intéresser à la couleur. Que vous soyez artiste, designer, styliste, architecte ou infographe, vous vivez en permanence avec la couleur. Celle-ci vous habite et votre sensibilité à l'environnement est globalement plus couleur que forme. Chez le commun des mortels, cette sensibilité n'est pas permanente. Elle apparaît pourtant dans l'acte d'achat . C'est pourquoi nous avons été souvent conviés à comprendre les mécanismes intellectuels liés à la couleur. L'un de ces mécanismes concerne la relation entre celle-ci et la situation sociétale. En effet, les couleurs recherchées par le consommateur connaissent des frontières sociétales : en clair, l'Indien moyen a une autre perception de la couleur que l'Allemand moyen ou le Français moyen. De par la structure démographique de son pays et de par la répercussion de l'économique mondiale sur son pays. Et la notion de citoyen moyen cachant forcément une palette d'individus, la situation sociétale modifie encore la perception de la couleur. Selon l'âge, le sexe ou la condition sociale, celle-ci varie totalement. Par perception, on entend bien évidemment perception psychologique.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, tâclons du côté de la "Couleur de l'année". Vous ne le savez peut-être pas mais chaque année, en septembre, les sommités du Art Designer Club se réunissent aux States pour décider quelle sera la couleur tendance de l'année suivante. Un rituel qui existe depuis bien avant que les lurettes ne soient devenues belles. La dite couleur, choisie sans critère scientifique, est encore respectée par les centres R&D de la planète. Mais les biens de consommation courante échappent de plus en plus à cette tradition.
A part cette sélection arbitraire, qu'est-ce qui peut bien faire qu'une couleur "fonctionne" mieux qu'une autre ? Comme bien souvent, les clés pour comprendre sont structurelles et conjoncturelles, à rechercher dans l'évolution de la Société :
1 - Le vieillissement de la population entraîne inexorablement une tendance à la recherche de moins d'aggressivité dans les couleurs. Cependant n'oublions pas qu'une grande part de cette population vieillissante a un vécu couleur plutôt lisse, nette et peu bigarrée.
2 - La population mondiale s'adonne au binocle. Entendez par là que la majorité des citoyens du Monde porte des lunettes - ou devrait en porter alors qu'elle n'en a pas les moyens financiers -. Cette donnée a considérablement modifié la perception de la couleur par cette population équipée. Les verres progressifs notamment atténuent l'intensité des couleurs conduisant leurs utiisateurs à préférer les couleurs sereines : bleu, marron, vert.
3 - La technologie numérique a eu et a encore une grande influence sur la perception de la couleur. Les vrais photographes vous le diront : le numérique n'a pas encore égalé l'argentique. Mais le succès du numérique est tel que de nombreuses couleurs sont désormais édulcorées dans la tête des gens. Des études ont montré que ce sont les gammes de vert et de marron qui ont le plus souffert.
4 - A l'inverse, la très nette amélioration des techniques d'impression a eu pour effet de reconcilier une partie des populations avec la communication imprimée. Mais la non-perfection du numérique, qui utilise l'impression, reste un talon d'achille.
5 - Les évolutions techniques de la fabrication des couleurs à partir des pigments ont bouleversé les codes. A tel point qu'un artiste peintre, sévissant avant 1950, ne reconnaitrait plus aujourd'hui ses couleurs. D'autre part, en milieu industriel, l'introduction de spécificités supplémentaires - anti acarien, anti mousse, anti tout, - a également modifié les couleurs. Même si leur durabilité a augmenté.
6 - L'utilisation grandissante des écrans dans la vie courante a fait du mal à la couleur. A ce jour, aucune technologie écran n'est capable de restituer celle-ci. Globalement, on peut dire que chaque constructeur a choisi d'insuffler sa couleur favorite, donc réservée, à la restitution d'images, biaisant la dite perception.
7 - L'innovation technoqlogique est plutôt en mal d'inspiration depuis près de 15 ans, vivant avant tout de la "customisation" d'objets connus et reconnus. Cette customisation s'est servie à fond de la couleur pour chercher des débouchés commerciaux. Cassant les habitudes. L'arrivée des coloristes sur le marché de l'architecture a notamment permis par la couleur de faire passer la pilule d'un nouvel habitat de moins en moins durable.
8 - La sinistrose ambiante influe sur l'envie de couleurs. Le citoyen du Monde veut changer de couleur comme de chaussettes. L'avènement du sticker décoratif participe par exemple de cette entreprise. D'une manière générale, le marketing s'est plié à une segmentation de la clientèle, abandonnant la communication de masse et les média qui vont avec.
9 - La naissance de nouveaux consommateurs venus des pays émergents a elle-aussi obligé les fabricants de biens courants à s'adapter localement. Ces nouveaux acheteurs ont tôt fait de refuser le diktat des "nantis occidentaux", insufflant de nouvelles envies de couleurs.
Tout cela pour dire que le diktat de la Couleur de l'année n'existe plus tant la couleur s'est mise en adéquation avec le consommateur. Aussi longtemps que le modèle américain ne trouvera pas une seconde vie ou simplement de successeur capable de guider un "way of life", l'envie de couleur restera une humeur personnelle contraignant les industriels à la segmentation.